Le projet du futur musée Pinault à la Bourse du commerce à Paris

Transformé, le bâtiment témoin d’une architecture du XIXe siècle, accueillera en 2019 les collections du milliardaire. Contrairement à d’autres, François Pinault n’a pas souhaité bénéficier d’un allègement fiscal pour financer son musée privé.
Le temps compte pour le patrimoine architectural... Comme dans les affaires. Et François Pinault n'en a pas a perdre. L'homme d'affaires, fondateur du groupe PPR devenu Kering, mène tambour battant son projet de transformation de la Bourse du commerce à Paris. Un musée, présenté lundi lors d'une conférence de presse, y accueillera en 2019 une partie de sa collection. Ce grand collectionneur d'art contemporain avance au pas de charge... comme pour forcer le destin. En 2005, alors à la tête de PPR, il avait en effet décidé de jeter l'éponge après des atermoiements administratifs sans fin pour aller présenter ses oeuvres à Venise plutôt que sur l'Ile Seguin à Boulogne-Billancourt.
Un bâtiment unique en son genre
La Ville a bien compris le message... Il s'est passé à peine plus d'un an depuis qu'Anne Hidalgo, la maire de Paris, a annoncé qu'elle confiait à la famille Pinault, pour un demi-siècle, ce bâtiment prestigieux, situé en plein coeur de la capitale, mais peu connu du public. La société constituée pour l'occasion, Collection Pinault-Paris, a utilisé ces quelques mois pour constituer son équipe, choisir ses architectes, Tadao Ando, le prix Pritzker japonais, accompagné de Pierre-Antoine Gatier, spécialiste des monuments historiques, ainsi que de l'agence NeM, de Lucie Niney et Thibault Marca.
« Quand j'ai visité le bâtiment de la Bourse pour la première fois, je me suis dit que l'on pouvait faire quelque chose d'extraordinaire mais que cela prendrait au moins dix ans », a raconté Tadao Ando avec un large sourire. Car cette fois, le délai pour obtenir le permis de construire a été étonnamment rapide. Le marché a été attribué à Bouygues Construction, et les travaux devraient démarrer incessamment.
Le bâtiment est classé et protégé dans sa totalité depuis 1975. A l'époque, la destruction des Halles fit prendre conscience, un peu tard, de l'importance du patrimoine du XIXe. Unique en son genre, il lie plusieurs siècles d'histoire. Sur le site de l'hôtel particulier de Catherine de Médicis, le plan circulaire de cette halle au blé édifiée vers 1760 englobe la première colonne isolée construite au XVIe à Paris, miraculeusement préservée lors de la destruction de la demeure de celle qui fut reine de France. D'abord à ciel ouvert, la halle fut fermée quelques années plus tard par la plus grande coupole jamais construite à l'époque. Encore en place, son dôme repose sur une charpente de fer de fonte de 1813, reconstruite après un incendie.
En 1886, la halle est transformée en une Bourse des marchandises, plus adaptée en ces temps de révolution industrielle. L'architecte Henri Blondel conserve cependant le fameux dôme. Il en maçonne la partie basse, désormais couverte d'une fresque symbolisant l'histoire du commerce, et rajoute des balcons à l'intérieur pour figurer une grande façade urbaine. Inauguré lors des commémorations de la révolution, en 1889, l'édifice est mis en avant au même titre que la tour Eiffel pour ses innovations architecturales et techniques.
Lier passé, présent et futur
Les esquisses de Tadao Ando reprennent cette forme et L'architecte entend inscrire son cercle dans la continuité des précédents. Un nouveau cylindre de 9 mètres de haut sur 29 de diamètre, comme une double peau posée à l'intérieur de l'enceinte originelle, dessinera un chemin circulaire à l'extérieur et un grand espace d'exposition au centre. D'apparence très simple, l'intervention modifie totalement la perception de l'espace et transforme le vide central en un lieu où se concentrent à la fois la lumière et l'intérêt. C'est là que seront exposées les plus belles pièces.
La forme cylindrique se poursuit en sous-sol où sera creusé un auditorium de 300 places. Quelque 3.000 mètres carrés de salles d'exposition et au total 7.700 m2 seront accessibles au public qui pourra déambuler aux différents niveaux, en passant du bâtiment original à la nouvelle installation. Le projet comprend aussi la restauration des façades extérieures et intérieures, des toitures, de la coupole dont les verres seront remplacés, ou encore de l'escalier Chambord qui date du XVIIIe... Plans et maquette seront dévoilés au Pavillon de l'Arsenal à l'occasion de l'exposition consacrée aux architectures japonaises à Paris, du 28 juin au 24 septembre.
Mécénat sans contrepartie
Les travaux, estimés à 108 millions d'euros, devraient être achevés à la fin de l'année 2018. Mais Collection Pinault-Paris a déjà en main les rênes du bâtiment. La société va verser à la ville 7,5 millions d'euros au cours des deux premières années, puis 60.000 par an pendant les 48 ans du bail administratif emphytéotique, auxquels s'ajoutera une part variable proportionnelle au chiffre d'affaires de ce nouvel espace culturel. Anne Hidalgo a salué la chance de Paris de bénéficier de l'aide d'un tel mécène.
C'est bien le mot. Car contrairement à d'autres propriétaires de musées privés, la famille Pinault n'a pas souhaité bénéficier de l'économie d'impôts de 60% offerte aux fondations. « Nous n'avons pas voulu que l'Etat participe à nos efforts, ce n'est pas sa priorité », a déclaré François Pinault. Le financement des investissements et du fonctionnement de Collection Pinault-Paris, comme celui du Palazzo Grassi et de la Pointe de la Douane à Venise sera familial et abondé au fur et à mesure par des contributions des enfants du milliardaire puis de ses petits-enfants...car « Peu d'institutions culturelles sont capables de s'autofinancer », a relevé Jean-Jacques Aillagon, l'un des proches conseillers du collectionneur.